Le schéma traditionnel de communication interpersonnel
La révolution amenée par l’Internet n’est pas uniquement technologique ni seulement descriptible par les usages que les gens font du Web. Elle a de toute évidence induit une modification du schéma traditionnel de la communication interpersonnelle. La manière dont est envoyé et dont est perçu le message s’encombre de nouveaux paramètres jusqu’alors jamais rencontrés.

L’émetteur va diffuser un message via un canal de communication. Ce canal code l’information à destination du récepteur qui devra être capable de décoder ce message pour en saisir le contenu (ex : une publicité diffusée sur les ondes radios nécessite de posséder un poste de radio pour pouvoir l’entendre).
Selon Shannon, la transmission de ce message peut être perturbée par des bruits « techniques » (problèmes de transmission, par exemple. Dernièrement, la programmation des chaînes de télévision RTL-TVI, Club RTL & Plug TV a été sévèrement perturbée pendant toute une après-midi suite à un bug du système informatique1).
Weaver va apporter une dimension humaine à ce schéma. Pour lui, les bruits ne sont pas essentiellement techniques mais peuvent aussi être sémantiques (vécu, éducation, langue,…) et influent d’autant plus sur la manière dont est transmise l’information et celle dont elle est perçue. La notion d’adéquation du ton du message par rapport à la cible fait son apparition dans le processus de communication. Le filtre qui peut entraver la transmission du message est devenu double et cela amplifie les risques de distorsion ou de réception imparfaite de ce même message.
Wiener va quant à lui apporter la notion de feedback au schéma de communication. Alors que ses deux confrères développent un modèle rectiligne de la communication, il transforme ce schéma en mouvement circulaire où il y a une rétroaction. Par ce terme, on désigne le retour dont bénéficiera l’émetteur par rapport à la manière dont son message aura été perçu par le destinataire. Cela permet par exemple de savoir si ce même destinataire comprend, s’intéresse, est en accord ou non avec le message émis. Le récepteur n’est plus considéré comme passif mais devient lui même source d’information pour l’émetteur.
Le schéma de communication interactive
En passant au schéma de communication interactive, nous reprenons pour base le schéma cyclique classique mais on nous constatons que le récepteur prend une importance de plus en plus grande dans le processus de communication. Le schéma de communication s’étoffe d’éléments jusqu’alors absents :

Le terme « interactif » nous met d’emblée la puce à l’oreille. Le récepteur bénéficie d’une liberté de comportement fortement accrue en regard de l’information qui arrive jusqu’à lui. Il a maintenant la possibilité de rechercher l’information, de la sélectionner voir même de s’en détourner de manière volontaire. Le récepteur ne se contente plus d’être spectateur de l’information, il en devient co-auteur. Sa capacité du public à déterminer lui-même sa perméabilité (ou son imperméabilité) au message oblige l’émetteur à se montrer plus proche de sa cible.
Christine Cambresy :
« Dans la communication interactive, le récepteur a également des attentes et l’émetteur se doit de les prendre en considération. Pour reprendre l’exemple de la newsletter, le tout n’est pas d’envoyer un e-mail purement informatif et morne, même si le support est en adéquation avec le public ciblé. Au niveau du fond et de la forme, la communication interactive doit signifier la fin de l’information monotone. Il est nécessaire de pouvoir se démarquer efficacement du flux énorme d’informations diverses auxquelles est soumis le public »
Cela peut se caractériser par diverses techniques qui vont viser à établir un lien de fidélisation entre l’émetteur du message et le récepteur de celui-ci.
Le mailing ou la newsletter sont des outils de communication novateurs dans la mesure où ils permettent d’atteindre de manière directe et individuelle une cible beaucoup plus autonome qu’auparavant. On ne peut plus se permettre d’attendre que le récepteur parte à la recherche d’information dans le cyberespace. Vu son immensité, il risquerait de s’y perdre ou, encore plus grave, de trouver mieux ailleurs.
L’e-mail est néanmoins une arme à double tranchant qui met en évidence une des caractéristiques du schéma de communication Interactive. Celle-ci découle directement de la capacité dont dispose le récepteur de l’information de décider de prolonger ou non le processus de communication. S’il n’a plus envie d’ouvrir le courrier électronique provenant d’une source X ou Y, il sera difficilement récupérable. Pour l’émetteur, récolter un feedback deviendra plus aléatoire étant donné le risque de « perturbation » accru du processus de communication (ex : classifier du courrier comme indésirable sur votre boîte mail). Le récepteur peut dorénavant se détourner de manière durable d’une source d’informations.
Il est difficile de ne pas aborder le phénomène d’amplification des bruits techniques et sémantiques durant le processus de transmission de l’information. Non seulement la taille du cyberespace favorise l’envoi de message émanant de divers horizons à destination d’horizons divers mais en plus leur arrivée à bon port devient beaucoup plus incertaine qu’auparavant. Un spot télévisé, sauf impondérable, n’a que très peu de chances de ne pas être diffusé au jour J et à l’heure H convenue entre l’annonceur et le diffuseur. Il n’en va pas de même du mail ou de la newsletter. Du problème d’affichage sur l’ordinateur à celui que constitue l’envoi à une adresse inexistante en passant par le blocage par un filtre de type antivirus ou antispam, il n’existe que l’embarras du choix pour perturber la transmission de l’information.
Au niveau des bruits sémantiques, il est un fait que si l’on ne rencontre pas les centres d’intérêts de la cible, on peut oublier tout espoir d’efficacité. Cet aspect de la problématique s’est complexifié par rapport à la communication via d’autres supports médiatiques.
Prenons l’exemple d’un encart publicitaire dans un magazine sportif : Une annonce pour une société de paris aura de forte chance de susciter l’intérêt d’une frange non négligeable des lecteurs. Sur Internet, il est beaucoup plus courant de se retrouver face à des informations incongrues dont on peut se demander pourquoi elles nous ont été envoyées.
Il suffit de se pencher sur la capture d’écran ci-dessous qui illustre l’état d’une boîte de réception d’e-mails. Des messages plus exotiques les uns que les autres se côtoient sans homogénéité et nous pouvons deviner qu’ils ne rencontreront pas forcément les centres d’intérêt du récepteur :

Un autre changement qui est induit par ce passage à la communication interactive réside dans une modification de la position de dominance dans l’échange communicationnel. Pour conquérir le récepteur, il faut arriver à établir un lien avec lui. Si le succès est au rendez-vous, ce même récepteur pourra devenir demandeur d’information et alimenter la source (exemple typique : La newsletter à laquelle les gens s’inscrivent spontanément).
En réalité, la communication interactive est une stratégie de communication qui opère une fusion entre la stratégie « PUSH » (pousser l’information vers le public) et la stratégie « PULL » (le public tire l’information à lui). Indissociables, ces deux caractéristiques ouvrent la porte à de nombreuses possibilités créatives au niveau de l’échange entre l’émetteur et le récepteur (en prenant appui sur des possibilités comme l’interactivité ou le multimédia) mais en contrepartie, l’effet d’un message se basant sur la communication interactive est plus compliqué à anticiper. La communication interactive est instable et volatile. Elle offre moult possibilités mais peut être facilement perturbée.
Cela va nécessiter une plus grande écoute et une perception d’autant plus fine de la cible à laquelle on s’adresse. Il s’agit là de l’enjeu majeur pour l’émetteur dans le schéma de communication interactive. Une connaissance irréprochable du public auquel il s’adresse et de ses habitudes.
Nous allons le voir dans les pages qui suivent, cette connaissance fine est encore loin d’être acquise. Aujourd’hui encore, la communication interactive via le Web est toujours plus perfectible.
Dangers liés à l’utilisation de la communication interactive :
A chaque avènement d’un nouveau média ou d’un nouveau type de média va correspondre une nouvelle forme de communication.
En référence au concept de médiologie1 cher à Regis Debray, nous entrons depuis quelques années dans une nouvelle médiasphère2 : La cybersphère. La cybersphère est l’environnement de transport et de transmission des informations qui va s’articuler autour de l’Internet et des technologies numériques. Si diverses médiasphères se sont succédées au cours du temps et de l’évolution des techniques (la logosphère était une société de langage, la graphosphère imprégnée par l’écriture, etc.) Ce n’est pas parce que l’on assiste à un changement de médiasphère que l’adaptation du public se fait de but en blanc.
La transition entre la vidéosphère et la cybersphère ne signifie pas la fin de la télévision mais témoigne d’une prise d’importance inéluctable de l’Internet dans l’environnement médiatique et dans les pratiques communicationnelles.
Cette transition n’est pas sans danger. Comment est-ce que le public va pouvoir s’adapter aux changements inhérents à cette transition ? A quelle vitesse cela va-t-il s’effectuer ? De nombreuses questions peuvent être posées et à l’heure ou nous pouvons dire que nous sommes dans une phase de démocratisation de l’Internet, les réponses commencent à nous arriver. Sans totalement ternir le tableau, elles nous remettent les pieds sur terre et nous rappellent qu’Internet et ses diverses applications ne peuvent pas encore prétendre à l’universalité d’utilisation.
Quid de la fracture numérique ?
Néanmoins, la Belgique n’est pas épargnée. Depuis le début des années 90, les technologies numériques et l’utilisation de plus en plus systématique d’Internet dans notre quotidien vont de pair. L’installation de l’ordinateur dans bon nombre de foyers a radicalement transformé la manière de communiquer et de proposer des services. Ces messages et fournitures de services s’adressent dans l’absolu à tout le monde.
Si parfois nous pouvons avoir l’impression que tout se fait via le Web et que tout le monde y a accès, c’est un mirage. Si la diffusion d’information via ces technologies est continue et presque exponentielle, elle n’est pas uniforme et ne profite qu’à une partie de la population. Cette fracture numérique contribue au renforcement d’une fracture sociale manifeste, même dans nos pays dits « industrialisés ». Cette fracture est tiraillée entre deux mouvements.
D’un côté, on ne peut le nier, de plus en plus de personnes s’accoutument aux technologies de l’information, et de l’autre, certaines personnes dans l’impossibilité d’effectuer cette démarche se trouvent de plus en plus isolées face à l’offre tendant de plus en plus vers le « tout par Internet ». Les craquelures3 sur base desquelles se forme cette fracture sont principalement l’âge, les catégories socioprofessionnelles, le revenu, le sexe et le niveau d’études. Les statistiques parues dans le cadre du plan national de réduction de la fracture numérique sont éloquentes.
En Flandre, selon des statistiques4 publiées en 2005 par l’APS5 , 82% des personnes possédant un diplôme de l’enseignement supérieur ont un ordinateur à domicile. 83% ont un accès à Internet (chiffre qui inclus le lieu de travail). Le taux d’accès à Internet baisse déjà considérablement pour les personnes ayant un diplôme de l’enseignement secondaire : 34 % & 70%.
La situation en Wallonie ne diffère pas vraiment. Si l’on compare le taux d’accès à Internet à domicile entre la classe sociale la mieux lotie et celle qui l’est le moins bien, on constate une différence très marquée (et marquante) : Les taux6 passent de 85 % de personnes ayant accès à Internet à seulement 30 %.
S’il est vrai que la prise de conscience de l’importance de cette fracture dans notre pays est manifeste (divers projets politiques visent à lutter contre cette inégalité7), il est illusoire de penser à la colmater dans un avenir proche. Il est possible de la réduire mais la fracture numérique reste une problématique avec laquelle il faut composer au moment de communiquer en s’appuyant sur les technologies de l’information et de la communication. Cela engendre la nécessité de penser à se réserver une porte de secours via des moyens de communication plutôt traditionnels selon le public que l’on a décidé de cibler.
Jean-Willy Lardinoit occupe la fonction de project manager pour l’agence de conseil en communication Tournesol Conseil. Cette agence officie principalement pour le compte d’institutions publiques8 et sur des projets à destination d’une large cible. Pourtant, un des leitmotivs de cette entreprise est de proposer des prestations axées sur le multimédia et les technologies numériques (portail Internet évolué et évolutif, conception d’e-book9,…) à ses clients. Il nous soumet son avis sur ce qu’il va advenir de cette fracture. Un avis entre deux eaux qui montre de manière assez claire que si la prise de conscience est là, d’aucuns pensent qu’il est difficile de s’arrêter en chemin pour que les retardataires puissent prendre le train en marche. L’inégalité face à l’accès au Web ne doit pas obstruer la marche en avant et l’apport des nouvelles technologies aux actions de communication :
« Cette fracture numérique va sensiblement se réduire. Les initiatives visant à la diminuer sont de plus en plus nombreuses et l’on ressent une réelle volonté de la part du pouvoir politique de mettre en œuvre une procédure d’extraction de cette situation problématique. A court terme, il faut combattre le mal à la racine en permettant aux plus jeunes quelle que soit leur origine et la classe sociale à laquelle ils émargent de se familiariser avec le monde des nouvelles technologies dès l’école. La volonté d’augmenter le nombre d’ordinateurs par élèves dans l’enseignement primaire10 est un indicateur positif et j’espère qu’il se concrétisera rapidement. Ne nous voilons néanmoins pas la face ; il n’est pas possible de convertir tout le monde à ces technologies. Il subsistera encore longtemps des personnes imperméables qui ne seront pas obligatoirement des défavorisés mais parfois des irréductibles qui ont moins l’envie que la capacité à se convertir. A plus long terme, je pense que la proportion de la population qui se situera du mauvais côté de la fracture numérique sera comparable à la proportion de gens analphabètes dans notre pays. Il est fort possible que pas mal d’entre eux aient malheureusement à cumuler ces deux handicaps. Si vous ne savez pas lire, vous n’avez pas la possibilité d’utiliser Internet ».
Christine Cambresy :
« Je pense qu’au niveau du traitement de la fracture numérique, nos responsables politiques ont parfois trop tendance à se focaliser sur l’aspect matériel. Les problématiques telles que l’analphabétisme évoqué par Jean-Willly Lardinoit en pâtissent sans aucun doute. Pourtant, les chiffres concernant ce déséquilibre social et éducatif sont plus qu’inquiétants11. J’ai parfois l’impression que ce type de problématique n’est pas dans l’air du temps, et que l’on se donne bonne conscience en instaurant une fois par an une journée de l’analphabétisme. Pourquoi n’envisagerait-on pas des formations qui permettraient au public concerné d’apprendre la langue par le biais de l’outil informatique ? Je suis certaine que cela pourrait pousser les gens palier à leurs carences de manière plus enthousiaste »
Par la conjonction de ces phénomènes, on peut craindre que les disparités sociales face à l’Internet soient loin de s’estomper, et, contrairement à l’accès purement technique au Web, rien ne peut assurer que la situation changera. Les écarts d’assimilation sont corrélés au niveau de l’éducation et de la culture de la famille.
Manuel Castells dans son ouvrage « la galaxie Internet » pose le problème d’une manière qui rejoint en quelque sorte l’opinion de Jean-Willy Lardinoit :
« A ce rythme, on peut craindre que l’utilisation d’Internet à l’école comme dans la vie professionnelle amplifiera les différences sociales liées à l’origine de classe, à l’éducation, au sexe et à l’appartenance ethnique13 »
Communiquer via le Web induit une implication nouvelle du récepteur. Avec les risques que cela comporte…
Cette question est intimement liée à celle de la fracture numérique. S’il faut pouvoir s’adapter aux nouvelles technologies, encore faut-il le vouloir et y être perméable.
Le précepte édicté par Marshall Mc Luhan14 : « The medium is the message » prend ici tout son sens. Consulter des données par la voie électronique est plus fatiguant que sur papier15.Par conséquent, il va falloir donner au récepteur du message une bonne raison de s’informer par le biais de la communication interactive. Dans le cas que nous étudions, il va falloir lui prouver la plus-value qu’il tirera une plus-value à consulter son courrier électronique.
Marshall Mc Luhan classifie également les médias traditionnels en deux catégories au niveau de la manière dont ils offrent l’information au public16 : Les médias chauds et les médias froids.
Le média est dit « chaud » lorsqu’il fournit une somme d’informations considérable à son public qui peut en bénéficier de manière somme toute assez passive (Lire un journal, écouter la radio,…). Un média chaud n’oblige pas le récepteur à faire appel à d’autre sens que ceux nécessaire pour décoder l’information qui lui est transmise (La vue pour la lecture, l’ouïe pour l’écoute, etc.).
Les médias froids quant à eux se caractérisent par une implication plus marquée du récepteur. Un média froid va pousser le public à s’impliquer de manière plus concrète dans la recherche d’informations complémentaires sur l’objet du message qu’il réceptionne.
Pour Mc Luhan, un média tel que la télévision est un média froid. Un spot télévisé est rarement exhaustif au niveau informatif. Il va avoir pour but premier d’éveiller l’attention du récepteur et dans un second temps de déclencher une recherche d’informations supplémentaires de la part de ce même récepteur (ex : le prix d’un produit, son lieu de vente,…). Ce type de médias diffuse en quelque sorte un message parcellaire qui demandera à être complété d’une autre manière.
Un média interactif tel que l’Internet prend une place à part dans cette logique. Ils ne sont pas totalement chauds car ils ne présentent pas toujours l’info sur un plateau d’argent mais il ne peuvent pas non-plus être qualifiés de froids vu que l’utilisateur de ce type de média peut en général trouver toutes les informations sur l’Internet même, au gré de son surf.
Il ne faut donc pas perdre de l’esprit que le récepteur ne pouvant pas (ou ne voulant pas) s’investir dans cette recherche d’information complémentaire sur le Web sera susceptible de ne pas être touché comme voulu par l’émetteur du message.
De plus, l’immensité d’Internet et la variété des informations présentes sur celui-ci accentue les risques pour le récepteur d’être induit en erreur. Si des étudiants en communication ont reçu une formation leur permettant d’adopter un regard critique sur le contenu qu’ils peuvent rencontrer sur un site Internet, ce n’est sans doute pas le cas de l’utilisateur lambda. Ce cas de figure peut s’illustrer aisément.
Tapez la recherche on ne peut plus actuelle dans le moteur de recherche Google : « Achat place +coupe du monde », vous obtiendrez 1.970.000 résultats17 qui selon Google peuvent rencontrer vos centres d’intérêts. Parmi cette opulence d’informations, il est clair que toutes ne peuvent prétendre à une fiabilité et une qualité de contenu optimale. L’Internaute se devra encore de faire le tri entre les informations à caractère publicitaire, les sites purement commerciaux, les pages personnelles,… L’information qui est théoriquement à disposition à portée de clic ne s’impose donc pas toujours d’elle-même.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire